Le célèbre Etia Bossamba, tourbillon tumultueux, est l’un des lieux les plus énigmatiques et les plus mystérieux du Wouri. Celui que le regretté prince Dika Akwa nya Bonambella appellera le ‘‘gouffre de la Pléiade’’. La Pléiade, par rapprochement sémantique entre le suffixe Samba (du nom Bossamba) désignant le chiffre 7 (en Duala / Wuri / Ewodi / Pongo / Bodiman / Malimba / lingala, etc.) d’une part et les 7 Pléiades, filles d’Atlas et de Pléioné, dans la mythologie grecque. Comme on le sait, en astrologie, les Pléiades désignent aussi une constellation d’étoiles. Au niveau de Bonjo Kôgi et de l’Etia Bossamba, la nature a ses mystères. Il s’agit de deux grandes collines qui se font presque face en oblique. L’une en amont et l’autre en aval.

 

Ces deux collines soulignent la présence d’une faille dans le fleuve, faille certainement liée à la surrection du Mont Cameroun (qui se trouve à moins de 50 kms à vol d’oiseau) et qui explique les profondeurs exceptionnelles en ces lieux (12 m, soit l’endroit le plus profond du fleuve Wouri, de sa source dans le département de la Menoua à son embouchure sur l’Océan Atlantique). Ici, le fleuve Wouri appelé Nkam dans sa partie supérieure, se divise en deux bras : le chenal principal à gauche en partant de Douala vers Yabassi et le Mboné à droite, dont un affluent dessert Tondé (village du canton Wouri Bwelé) à hauteur du PK 30 de la route DoualaBonépoupa-Yabassi (route Razel). Ces deux bras vont se rejoindre plus haut à presque 5 kms à la confluence de Mutimbélembé, pour former l’île Wouri où sont établis les villages Bonépéa, Bonjo, Munjamussadi et Moutimbélembé (Bonamondo).

D’où vient donc le nom Etia’ Bossamba ?

Simplement d’un des grands maîtres des lieux, un ‘‘prêtre’’ du culte de l’eau, grand initié de la confrérie Jengu : le Seigneur Bossambé Epellé, fils de Epellé Bossambé Bwaka, l’un des ancêtres des Bona’Anja. Bien qu’étant établi avec sa famille sur l’île Wouri à Bonjo à environ 3 km en amont, le chef Bossambé Epellé (ou Bossamb’a Pellé) continua de fréquenter Bonjo Kôgi où il avait gardé une résidence rituelle, pour mieux assurer son rôle héréditaire de gardien du temple
aquatique sacré, auquel les Wuri vont, par reconnaissance attacher son nom. Le grandissime Bossambé Epellé mort, son fils Mouellé Bossambé prendra efficacement la relève. A ce niveau, laissons parler deux éminents auteurs, les docteurs Christine Buhan et Etienne Kangé Essiben dans leur ouvrage La Mystique du Corps : Les Yabyan et les Yapeke de Dibombari au Sud-Cameroun (Paris, l’Harmattan, 1986). « La puissance du fleuve à Bossamba (Bisamba en Bakoko) appartenait à un certain Mouellé Bossambé (Muelé Sambi) originaire de Bonjo (Vuri). Survint à Yamijan un différend qui poussa les habitants à chasser de chez eux le dénommé Disongo di Nkohe. Muelé Sambi l’adopta, l’autorisa à construire et lui révéla le secret du lieu. Disongo s’établit là avec toute sa famille» (p. 100). Les auteurs ajoutent que Mouellé Bossambé était « un chef puissant de Bonjo » (p. 441).

L’Etia Bossamba, c’est le sanctuaire par excellence des ondines, les miengou (jengu au singulier), les mamy wata. Dans ce gouffre de la Pléiade règne selon la légende, la ‘‘femme au sein unique et à la queue de poisson’’. Les grosses pierres présentes mystérieusement en ces lieux constituent autant de refuges pour les génies et l’eau de l’ensemble du pays Sawa. Les esprits de certains ancêtres sont également connectés à cet espace sacré, que les initiés Sawa en général et Wuri en particulier n’évoquent qu’avec un mélange de vénération et d’émerveillement. Quand on maîtrise sa généalogie et qu’on est de noble ascendance. Quand on connait certains mots de passe rituels et les codes secrets de communication avec l’invisible. Quand on y déverse les présents idoines en guise de sacrifice, alors on peut y prononcer des vœux. Et si telle est la volonté des ancêtres, des divinités de l’eau et de Nyambé Eweke (le Dieu Tout Puissant, Créateur et Incréé), on peut obtenir entière satisfaction.

Encore faut-il que les intentions soient pures, nobles et dépouillées de visées sordides ou scabreuses. On comprend pourquoi toutes les pirogues de course de la vallée du Wouri/Nkam, depuis les plus anciennes Makembé Bwalo, Nkond’a Bwalo, Nkam Nkam aux plus récentes, à l’instar de Njoh a Bwalo (du nom de son donateur le Pr. Ebénézer Njoh Mouellé), transitent impérativement par le sanctuaire de Bossamba pour les ultimes rites de protection, de ‘‘blindage’’ et évidemment de bénédiction avant toute compétition nautique, notamment à l’occasion du Ngondo. Ces pirogues, on le sait, ont toujours été pour les Jebalé, Malimba, Deido, Akwa, Bota, Isubu, Pongo Songo, Bakoko, etc., les concurrents les plus redoutables. Écoutons aussi le patriarche Ebongo Anatole (né en 1911) dans son livre Souvenirs d’un enfant du siècle (Edition Clé, Yaoundé 2013) : « Immédiatement en aval de Moutimbelembè se trouve le plus mystérieux des sites sacrés du fleuve Wouri ou Nkam, l’Etia Bosamba, nom de l’ancêtre du village Bonjo.

Traverser l’Etia Bosamba de nuit a souvent exposé les piroguiers à de curieux incidents ». A côté de l’emblématique tourbillon de la Pléiade, ‘‘tribunal des eaux’’, les autres contre courants fluviaux du Wouri les plus réputés sont l’Etia Dingong, que surplombe la préfecture de Yabassi ; l’Etia Koum, à l’entrée du pont du Wouri, côté Bonabéri dont Guy Georgy, dans son livre, Le Petit Soldat de l’Empire, évoque la menace qu’il faisait planer sur le pont du Wouri la veille de son inauguration en mai 1955. Elle n’aurait été conjurée, selon l’auteur, qu’avec la mort accidentelle de Doumbè Mbappè, un grand initié de Bonabéri.